20 dirigeants nous parlent du management des années 2020 : performance et humanisme ?

La performance s’estime non seulement par les résultats chiffrés immédiats, mais aussi par les pratiques managériales qui en garantissent ou non la robustesse. Comment ces pratiques évoluent-elles concrètement dans les entreprises ? 

J’ai interviewé plus de 20 dirigeants français. Ils nous ouvrent de belles pistes de réflexion !

Leurs constats montrent que les situations actuelles sont, bien sûr, variables d’une entreprise à l’autre, mais une belle cohérence s’exprime sur la trajectoire à suivre, sur les conduites à privilégier. En voici les témoignages, une synthèse enrichie de nombreux verbatim.

Maîtriser une révolution des pratiques

« Avec les évolutions de la société, la nécessité de renouveler les modes managériaux est évidente. »

Quelle que soit l’activité, ce sont plus que jamais les personnes et les équipes qui font la performance. Chaque personne mérite donc un intérêt particulier qui couvre sa contribution, sa personnalité et la bonne adéquation entre les deux. De même, chaque activité mérite d’être reconnue dans sa double dimension technique (le résultat) et comportementale (engagement, coopération).

L’engagement et la coopération recherchés demandent de focaliser sur les processus, sur toutes les pratiques quotidiennes autant et même plus que sur les résultats chiffrés : « le management par les indicateurs seulement déshumanise. »

Ces deux exigences appellent un management qui donne une priorité absolue au travail réel, à la “vraie vie” des acteurs premiers de la performance. Non seulement pour la constater, mais surtout pour stimuler les comportements de coopération et de créativité. Et cela va loin : « Le manager doit être le tremplin de ses équipiers. » Chacun « doit pouvoir se sentir 100% à sa place », dans son travail et dans son évolution.

À de rares exceptions près, la transition est partout engagée, à des niveaux très divers cependant. Avec des freins hérités de l’histoire : « Il existe encore des dinosaures qui pratiquent le management par la pression » ou « Certain gardent le comportement directif des anciens contremaîtres », mais aussi avec des difficultés nouvelles : « Le développement des réseaux a dilué le sentiment d’appartenir à une équipe, » « Le mouvement d’individualisme généralisé rend les choses plus difficiles » ou, dans une start-up en forte croissance : « Comment structurer sans créer de rigidités ?»

Ces barrières renforcent le besoin d’un management puissant qui encourage un engagement individuel et collectif dynamique. C’est l’ambition de bien des managers : « J’arrive d’un grand groupe très directif. J’ai rejoint cette ETI pour développer un management plus ouvert, pour construire avec les personnes. Après un an, les résultats sont déjà extraordinaires en qualité, en coût et en engagement de tous ! »

Cultiver un humanisme cohérent avec la recherche de performance

L’engagement et la coopération indispensables à l’équipe performante se bâtissent sur la confiance et l’autonomie. Cela commence par une écoute simple et sincère, la connaissance du travail des équipes et le partage des difficultés rencontrées. En somme, il s’agit de développer une attitude d’accompagnement du progrès plus que de simple contrôle. La transparence devient essentielle, en particulier « le droit à l’erreur fait disparaître les réflexes de dissimulations. » Le manager devient un “manager-coach” qui soutient et développe les équipes par des challenges progressifs. Un jeune dirigeant détaille la complexité de son rôle : « Je dois développer l’autonomie ainsi que la responsabilité collective, en développant une vision ambitieuse, et sans perdre de vue la performance quotidienne. » De plus, nombreux sont ceux qui insistent sur le besoin de coopération entre les personnes : « Toujours parler de la performance collective d’abord », et « L’idée d’intelligence collective n’est pas encore suffisamment assimilée. » 

L’intégration digitale peut aussi être valorisée techniquement et humainement dans la même logique : « les data sont en mesure d’alimenter une réflexion décentralisée, sur le terrain. » Ce qui appelle des formations spécifiques et stimule une responsabilisation plus large, où chacun est mieux capable de se situer dans la chaîne de valeur du business de l’entreprise. 

Enfin, il est important de s’adapter aux personnes et aux situations : « Le manager devient multiple. » 

Apporter du sens au travail de chacun

Tous les dirigeants interviewés constatent l’évolution profonde de la relation entre la personne et son travail. Pour susciter l’engagement professionnel, une priorité paraît maintenant évidente : donner du sens au travail quotidien, « le sens est source d’épanouissement ». Deux grandes questions, “pourquoi ?” et “pour quoi ?”, reviennent sous différentes formes :

  • La valeur du produit ou service : « Avant on produisait, maintenant chacun veut savoir à quoi sert son boulot. » Le minimum est de comprendre ce que le produit ou service apporte vraiment au client. Un patron va jusqu’à définir son approche comme : « Le management par la passion du produit. » 
  • Le partage d’une ambition : dans des start-ups, la vision rejoint la passion pour le produit en développement et est considérée comme « évidente pour tous. » Dans les organisations moins focalisées, c’est le rôle du manager de construire cette convergence. Plusieurs dirigeants évoquent une ambition à plusieurs facettes, dans laquelle la création de valeur se complète des modes de fonctionnement collectifs recherchés.

En résumé : « Développer l’autonomie en gardant clair le lien entre les actions et l’objectif final. »

Pratiquer le “télé-management”

En ces temps de Covid, les effets du télétravail sur le management sont à l’ordre du jour et les dirigeants l’abordent évidemment. La difficulté vient essentiellement de la perte du lien quotidien informel qui, plus ou moins consciemment, portait une part importante de la communication ; perte dont les effets psychologiques sont parfois alarmants. Mais les commentaires soulignent aussi que l’engagement et l’esprit de coopération déjà acquis rendent le télétravail moins pesant, plus productif et fluide. L’évolution à réaliser n’en est que plus évidente : « Le distantiel renforce le besoin de confiance, d’autonomie et d’ambition partagée, tout ce qui développe le sentiment de communauté. » En somme tous les aspects de la transformation évoqués dans cet article apparaissent encore plus nécessaires et urgents ! Un dirigeant me dit : « Quand je vois les difficultés de quelques confrères avec le télétravail (…) Tout ce que nous avons fait ensemble pour développer la confiance, j’en ai aujourd’hui le retour au centuple. »

S’adapter aux nouvelles générations

Les nouvelles générations sont beaucoup plus exigeantes quant à leur besoin immédiat d’autonomie et de sens. « Pour les moins de 35 ans, tout sentiment d’être bridé diminue rapidement l’engagement et la créativité ». Un jeune manager m’a d’ailleurs confié avoir changé d’employeur sur ce seul motif. 

Pour autant, cela ne modifie pas vraiment la nature des évolutions nécessaires avec, quand-même, une insistance marquée sur le sens et la transparence. Plusieurs dirigeants concluent : « C’est nettement plus marqué chez les jeunes mais, dans le fond, ce sont les besoins de tous. »

Manager, c’est finalement relever un challenge difficile et passionnant

Répondre à des exigences croissantes du business et à une évolution radicale des attentes des personnes est un challenge difficile et complexe où le copier/coller de recettes toutes faites ne suffit plus, surtout dans un contexte compliqué par la pratique continue du télétravail, et donc du télémanagement. Il s’agit pour le manager de réinventer des pratiques qui mobilisent intelligences rationnelle et émotionnelle. De plus, trop souvent dans les entreprises, en particulier les plus grandes, le discours change plus vite que la réalité. Dans un engagement sincère et fort, “être vrai” c’est aussi reconnaître le rythme de changement possible de ses équipes et s’y adapter. Le manager avance alors sur une crête étroite de « lâcher-contrôle » pour ouvrir des espaces d’autonomie sans jamais tomber dans un naïf laisser-aller. Oser, parfois en étant accompagné par quelqu’un ayant déjà vécu une telle transformation, est le maître-mot ! 

Mais, bonne nouvelle, construire une culture de performance par l’engagement et la coopération est extrêmement gratifiant : « Ma fierté de manager, c’est d’avoir transformé des équipes annoncées “nulles” en super teams, avec de super résultats. »

Tous les dirigeants identifient un besoin commun

Ces interviews, de dirigeants de profils très divers dans des entreprises variées montrent de belles convergences. Bien sûr, sur ce chemin de réflexion largement commun, certains dirigeants ont déjà bien avancé dans l’action quand d’autres en parlent encore au futur, voire au conditionnel. Mais, sur le fond, la plupart partagent une même ambition pour les années 2020 : « s’adapter aux évolutions profondes de la société par un projet managérial qui concilie performance et humanisme. »

Vos commentaires et retours d’expérience sont les bienvenus, ainsi que vos questionnements de manager, auxquels j’essaierai de répondre.

Christian MAISONNEUVE